John Boutté (version française)
Le
dimanche, alors que les haricots rouges trempaient pour le dîner du lundi, John
Boutté était réveillé par les bruits de son quartier de la Nouvelle Orléans.
Les voix portaient au dessus de la clôture, provenant de l’église derrière chez
lui dans le quartier du Seven Ward, la maison où il a grandi, où la plupart des
membres de sa famille créole vivent et chantent encore. Devant le jardin, les
parades de second-line défilaient, mélange de folie de la saison du Carnaval et
de joie transcendantale des funérailles jazz. Ce « roux »
d’influences créa John Boutté et lui sert encore à ce jour.
A l’école, John jouait du cornet et de la trompette, les
clairons de la vie à la Nouvelle Orléans, dans les fanfares de Junior high et
High school. C’est aussi à l’école que John eut l’opportunité de chanter, tout
d’abord dans des concours de chant, puis dans des groupes de rue a capella,
groupes nommés « Spirit », puis « Remnant ». Ajoutez-y les
épices de la musique jouée sur les platines de ses frères et sœurs aînés, la musique
qui régnait dans la rue et qui échauffait les esprits : Stevie Wonder et Marvin
Gaye, the Jackson 5 et Roberta Flack et Donny Hathaway. Durant ces années, des
jazzmen traditionnels comme Paul Babarin, Louis "Big Eye" Nelson et
Danny Barker devinrent à la fois les amis et mentors de John. La sœur de John,
Lillian Boutte, lui fit écouter des légendes locales comme Dr. John, Allen
Toussaint et James Booker.
Après le lycée, John étudia à Xavier University, une
institution catholique noire connue à la Nouvelle Orléans et même dans
l’ensemble du Sud profond. Son diplôme en poche, John fut nommé officier de
l’armée américaine et eut l’opportunité de diriger des chorales gospel de
l’armée et d’y chanter en Virginie, au Texas et même en Corée. C’est ironiquement
en Corée, en chantant du gospel et du deep, deep blues après des heures passées
dans des restaurants dans lesquels il n’était entré que par accident, qu’il
commença à se faire connaître comme américain, artiste et personne. Peu de
temps après son retour aux États Unis, John fut invité à faire une tournée dans
presque toute l’Europe avec sa sœur Lillian. L'Europe fut une série de leçons
de langues, cultures et coutumes, qui donnèrent à John une chance de méditer
sur l’idée même d’une vie de chanteur de jazz.
Avec sa sœur Lillian |
Quand John rentra chez lui à la Nouvelle Orléans, il continua
à chanter. Mais il y avait désormais une nouvelle génération, une nouvelle
lignée de musiciens disponibles ; des musiciens comme Herlin Riley, Shannon
Powell, Nicholas Payton et Bryan Blade. Il commença à faire la première partie
d’artistes comme Mel Torme, Lou Rawls, Rosemary Clooney et, Herbie Hancock. Il
enregistra trois albums. Through the Eyes of A Child , Scotch
and Soda, et le remarquable Jambalaya, enregistré pour Bose. Un autre
album intitulé Gospel United, un enregistrement de concert au Danemark,
contient son fantastique arrangement solo de « The Battle Hymn of the
Republic », qui fut disque d’or dans plusieurs marchés européens.
Down
in the treme
Just me and my baby
We're all going crazy
While jamming and having fun
Just me and my baby
We're all going crazy
While jamming and having fun
La
« chanson de Treme » de Boutté sur son album Jambalaya est la
chanson du générique de la série Treme de HBO. Boutté figure dans l’épisode
final de la saison 1 de Treme, chantant la sérénade au personnage de Kim Dickens
avant qu’elle ne quitte la Nouvelle Orléans ; dans l’épisode 1 de la saison 2,
il chante plusieurs chansons (dont « Accentuate the Positive ») ; et
il chante sur scène dans l’épisode 10 de la saison 3.
Le
nouvel album de John Boutté : A “well tempered” Boutté
Soyons franc : si
un album de John Boutté chantant (principalement) des standards avec un trio
jazz avait été autre que magnifique, toute personne connaissant la musique de
cet artiste aurait été surprise. Les standards n'ont plus de secrets pour lui ;
la plupart de ces chansons figurent dans son répertoire live depuis des années
et attirent en masse les foules lors de ses shows.C’est donc exactement l’album que l’on attend et espère. Mais il a fallu un certain art pour enregistrer ces performances particulières : l’astuce quand on fait un album de standards, c’est de faire en sorte que les chansons sonnent comme si on les avait écrites la semaine passée, et Boutté réussit à le faire ici : ce n’est pas évident de mettre une touche d’excitation liée à la découverte dans des chansons si connues. C’est le plaisir d’entendre sa voix qui renouvelle « Fly Me to The Moon », quand il joue à allonger les syllabes et tient le « I love you » jusqu’au bout de la chanson. L’hymne Indien de Mardi Gras « My Indian Red » a été remanié de la façon la plus subtile qui existe ; il trouve l’hymne dans cette chanson de parade. Sur « The Very Thought of You », c’est le son de sa voix qui ravit ; il devient une trompette en sourdine sur « my love » avant la pause instrumentale. Et sur « Do You Know What It Means to Miss New Orleans », peut-être la chanson la plus enregistrée de toutes les chansons ici, sa voix haute glissant sur la ligne « Wish that I were there » en dit long sur la nostalgie. (Il met notamment au pluriel la dernière ligne : « I miss the ones I care for » (ceux que j’aime me manquent), conservant le contenu post-Katrina qu’il a donné sur la bande son de Treme).
Le pari d’enregistrer tout l’album avec trois musiciens seulement a payé car les accompagnateurs, Christopher Todd Duke (guitare), Nobumasa Ozaki (basse) et Oscar Rossignoli (piano) savent quand ajouter des nuances subtiles et quand se mettre en avant pour swinguer. Le guitariste Duke, qui décéda peu de temps après les sessions, apporta une véritable force percussive en grattant sa guitare et ajouta des solos notables. Il y a une alternance guitare/voix particulièrement réussie sur « Little Red Rooster », un des quelques moments ici où Boutté montre son côté R&B pluz funky.
Cela aurait été quand même bien d’entendre une chanson originale ici, comme Boutté a écrit un ou deux standards locaux lui-même. Mais c’est surtout un album de chanteur, et il y a peu de chance que vous écoutiez un meilleur disque de chansons cette année.
La sauce :
en cuisine avec John Boutté
Un article du
magazine Offbeat« La maison dans laquelle j’ai grandi a été en fait bâtie par mon père et mon grand-père, et je peux honnêtement dire qu’elle a été bâtie sur des po-boys (sandwiches typiques de la Nouvelle Orléans). Ma mère préparait des po-boys les dimanches, les samedis. Mon père invitait ses cousins et ses amis avec quelques bières. Nous nous réunissions en communauté et nous avons construit cette maison. Nous avions toujours des produits frais. Des haricots et des légumes, de la laitue, des choux et des légumineuses. Ma grande-tante était une vraie spécialiste en horticulture. Elle avait ce magnifique arbuste, ce qu'ils appellent « jambon et œufs ou « couronne de mariée ». Et de merveilleuses roses ; en marchant dans ces quartiers, on sentait la nourriture et de merveilleuses fleurs. Les gens le faisaient car les rues n’étaient pas toujours très propres et ils utilisaient leurs jardins pour refouler l’air nauséabond des égouts.
Ma maman faisait des po-boys avec tout ce que pouvait pêcher mon père. S’il n’y avait pas de poisson, elle faisait frire des foies de volaille. Nous avions des po-boys aux foies de volaille frits. Elle nourrissait beaucoup d’enfants et nous mangions bien. Il y a une chose que nous réclamions souvent, c’est un peu dégoûtant, c’était de la cervelle, de la cervelle de vache ! Nous en mangions au petit déjeuner. Elle la faisait tremper dans de l’eau froide, retirait les membranes, la roulait dans de la farine de maïs et nous pensions manger des huîtres. C’était délicieux ! C’est surprenant que je n’ai pas de goutte. Nous mangions de la cervelle de vache et des œufs brouillés. Nos cerveaux ne seraient pas embrouillés car nous allions toujours à l’école le ventre plein et avec de bonnes réserves pour attaquer la journée. Comment faisait-elle pour nourrir 10 enfants avec un salaire de facteur ? Je n’en sais rien, mais elle y arrivait.
La famille Boutté |
Mon père partait pêcher, La Louisiane est généreuse pour cela, et il pêchait tellement de poissons. Quand il était fatigué d’écailler et de nettoyer et de stocker, nous en donnions aux voisins. Ma maman, elle les cuisinait mais elle refusait de nettoyer les poissons. Et mon père ne mangeait du poisson que s’il venait d’être pêché. Nous avions donc beaucoup de fruits de mer dans la maison et aussi du gibier, car il chassait. Nous avions du gibier et du cowan [tortue], du canard et de la poule d’eau, ce petit canard noir.
Voici ma cuisinière. C’est ce qu’on utilisait sur les bateaux de croisière, et ces cuisinières étaient bien construites car il ne fallait pas d’incendie à bord. Ne regardez pas maintenant. Elle n’est pas très propre. Qui a du temps pour nettoyer sa cuisinière ? On s’en fout !
Ce matin, j’ai cassé deux beaux œufs organiques et je les ai bien battus, j’ai fait chauffer de l’huile d’olive à la bonne température et je les ai frits. Je les ai juste retournés, j’ai ajouté un peu de crème aigre et de parmesan sur un petit toast de blé. C’était rapide. J’aime le petit déjeuner. Le matin, je fais des crêpes de patate douce. A la place de l’eau ou du lait, j’utilise, c’est une astuce, du jus d’orange. Et du café, je bois du café, le café ne me gêne pas.
J’aime le vin rouge aussi. D’ailleurs, j’étais dans le Colorado, je jouais pour l’une de leur station de radio publique. Quelqu’un m’a demandé si j’aimais le vin rouge. J’ai répondu, « bien sûr », et il m’a versé un verre de ce syrah qui était vraiment bon, il a tourné la bouteille vers moi et c’était une bouteille qui avait été faite en mon honneur. Quelle leçon d’humilité cette surprise. J’ai fait beaucoup de disques et de trucs, mais avoir son visage sur une bouteille de vin, cela va vraiment impressionner vos amis. »
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